Difference between revisions of "Chapter I - The Black Kami"

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« Je vais les exterminer. Tous. Jusqu’au dernier.
 
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– Fort bien. Et qu'envisagez-vous, mon garçon, une fois que vous aurez vaincu cet adversaire ? Quelles sont vos intentions pour reprendre le cours de votre existence ? Je vous souhaite d’aspirer Ă  la reconstruction, plutĂŽt qu'Ă  la destruction. »
 
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PĂŒ fixa quelques secondes ses paumes imprĂ©gnĂ©es d’hĂ©molymphe et de fragments de carapaces. Ses intentions pour reprendre le cours de son existence ? Il n’en savait rien. Depuis que sa tribu avait Ă©tĂ© anĂ©antie, sa vie avait perdu tout son sens. Comme Ă  son habitude, la Voix qui l’accompagnait depuis le massacre avait visĂ© juste. Et si elle s’était montrĂ©e extrĂȘmement prĂ©cieuse il y a quelques semaines encore, en l’aidant Ă  combattre les pensĂ©es suicidaires qui l’habitaient constamment, les choses Ă©taient diffĂ©rentes dĂ©sormais. Car pour le jeune ZoraĂŻ, les conseils que lui prodiguait la voix intĂ©rieure s’étaient progressivement muĂ©s en reproches, le ton lĂ©gĂšrement hautain qu’elle adoptait accentuant cette impression. Aussi, encore gorgĂ© de l’adrĂ©naline du combat qu’il venait de mener, PĂŒ rĂ©pondit-il sĂšchement.
 
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« Je n’ai pas envie de rĂ©pondre Ă  tes questions rhĂ©toriques, alors tais-toi. Tais-toi, ou va hanter un autre esprit.
 
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— Hanter un autre esprit ? Je doute fort que cela soit concevable, mon garçon. Cependant, nul ne peut prĂ©tendre connaĂźtre toutes les vĂ©ritĂ©s absolues. Afin de dissiper tout doute, peut-ĂȘtre devriez-vous envisager de partir Ă  la recherche de ceux qui ont survĂ©cu ? Cela nous permettrait d'Ă©valuer pleinement mes capacitĂ©s. Qu'en pensez-vous ? »
 
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Ignorant la Voix, PĂŒ essuya ses mains sur les mousses froides qui recouvraient le sol, ramassa ses armes et se releva. Autour de lui, les corps massifs des crĂ©atures insectoĂŻdes suintaient d’un liquide verdĂątre, d’une hĂ©molymphe poisseuse qui dĂ©goulinait le long des carapaces brisĂ©es et se rĂ©pandait abondamment sur le tapis vĂ©gĂ©tal, transformant le givre en vapeur. Fixant les carcasses de l’ennemi, il repensa aux semaines qui venaient de s’écouler.
 
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Peu aprĂšs que PĂŒ eut quittĂ© la souche d’arbre-ciel dans laquelle il avait toujours vĂ©cu, dĂ©sormais scellĂ©e en un gigantesque tombeau, un hiver particuliĂšrement rude s’était abattu sur la Jungle. Une Jungle Ă©trangement calme, qu’il s’était attendu Ă  voir infestĂ©e de crĂ©atures. Au fond de lui, il avait espĂ©rĂ© que cette vague de froid anormale Ă©tait la rĂ©ponse de Ma-Duk Ă  l’essaim de monstres. AprĂšs tout, en tant que gardiens de la nature, les Kamis pouvaient contrĂŽler les Ă©lĂ©ments, et durant l’hiver, la plupart des insectes entraient en hibernation. Malheureusement, il n’en Ă©tait rien : les crĂ©atures n’étaient pas reparties dans les profondeurs d’Atys mais avaient simplement rejoint les nids qu’elles avaient construits en surface
 PĂŒ s’était remĂ©morĂ© les paroles de son pĂšre, persuadĂ© que l’invasion des monstres Ă©tait voulue par Ma-Duk pour mettre leur tribu Ă  l'Ă©preuve. Puis celles de Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€, qui lui avait rĂ©vĂ©lĂ© que Ma-Duk n’y Ă©tait pour rien, et que l’invasion touchait en rĂ©alitĂ© tout Atys.
 
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Ce qu’il avait pu voir ces derniĂšres semaines donnait pour le moment raison Ă  la vĂ©nĂ©rable ancĂȘtre : sur la route de Zoran, la capitale du pays, il avait croisĂ© quelques villages, tous anĂ©antis et vides de vie. Jusqu’alors, le voyage s’était dĂ©roulĂ© sans encombre. La guerre ayant Ă©tĂ©, au moins dans ce secteur de la Jungle, totalement gagnĂ©e par l’envahisseur, ses troupes s’en Ă©taient allĂ©es. Pour autant, les monstres n’avaient pas dĂ©cidĂ© d’abandonner cette contrĂ©e. Bien au contraire mĂȘme. TrĂšs vite, un grand nombre de nouvelles crĂ©atures avaient investi la rĂ©gion. Et notamment celles dont il venait de se dĂ©barrasser. Ces spĂ©cimens Ă©taient plus massifs que les vifs soldats Ă  la carapace brune et Ă  l’abdomen dardĂ© et arquĂ© sous leurs pattes, parcouru de reflets jaunĂątres, qui avaient constituĂ© le gros des troupes de la premiĂšre vague de l’invasion. Ils l’étaient en revanche moins que les monstres noirs et tachetĂ©s de jaune de la seconde vague, Ă  l’origine du massacre de sa tribu, et bien moins encore que le commandant hypertrophiĂ© et rutilant, celui-lĂ  mĂȘme qui avait tuĂ© son pĂšre, son oncle et son frĂšre
 DĂ©pourvus de dards, de crochets ou d’organes excrĂ©teurs de substances nocives, ces nouvelles crĂ©atures Ă©taient plutĂŽt inoffensives. Certes, elles possĂ©daient une puissante paire de mandibules, rougeĂątres, comme leurs six pattes. Mais de ce qu'avait pu voir PĂŒ, cet appendice buccal ne servait qu’à dĂ©couper la matiĂšre vĂ©gĂ©tale dont elles se nourrissaient, et Ă  rĂ©colter des ressources qu’elles stockaient sur leur large tĂȘte plate recouverte de mousse, afin de les transporter au cƓur des grands nids dont elles semblaient ĂȘtre les principales ouvriĂšres.
 
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Constater qu’aprĂšs le carnage Ă©tait venu le temps du pillage, avait plongĂ© PĂŒ dans une profonde colĂšre. Ses proches avaient-ils Ă©tĂ© tuĂ©s simplement pour que ces nouvelles crĂ©atures puissent rĂ©colter en paix les ressources de la surface ? Atys n’était-elle pas assez gĂ©nĂ©reuse pour que l’on puisse partager ses richesses ? Mais, comme pour punir l'idĂ©alisme de cette question naĂŻve, son esprit fit bientĂŽt resurgir en lui le souvenir des cours d'histoire que sa mĂšre lui prodiguait enfant : la Guerre de l’Aqueduc dĂ©buta lorsque l’Empire Fyros fut durement touchĂ© par la sĂ©cheresse, aprĂšs que le Royaume de Matia eĂ»t assĂ©chĂ© le fleuve Munshia et augmentĂ© les taxes perçues sur les convois de la Route de l'Eau traversant son territoire. La plus longue guerre de l’histoire homine avait commencĂ© par une querelle au sujet de l’eau, une ressource pourtant prĂ©sente en abondance dans la Grande Flaque. De tout temps, l’accĂšs aux ressources d’Atys avaient Ă©tĂ© Ă  l’origine de conflits
 Alors pourquoi ne pas imaginer que ces crĂ©atures intelligentes aient Ă©tĂ© animĂ©es par le mĂȘme motif ?
 
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Cette idĂ©e incongrue n’était qu’une parmi d’autres. Elle Ă©tait le produit dĂ©lirant d’un esprit malade. BrisĂ©. À jamais marquĂ© par la douleur. Car depuis ce terrible jour, PĂŒ n’avait cessĂ© de ressasser. Rien n’avait jamais rĂ©ussi Ă  lui faire penser Ă  autre chose. Il cherchait Ă  comprendre pourquoi ceux et celles qu’il aimait lui avaient Ă©tĂ© enlevĂ©s. Et ne trouvant pas de rĂ©ponses satisfaisantes - aucune ne pouvait l’ĂȘtre - il laissa la haine le consumer. D’ordinaire si calme et mesurĂ©, il jura sur Ma-Duk d’éliminer chacun des monstres insectoĂŻdes qu’il croiserait, oubliant peu Ă  peu la recherche de survivants et la quĂȘte que Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€, mourante, lui avait confiĂ©e. Cette folie avait failli lui coĂ»ter la vie, alors qu’habituĂ© Ă  la placiditĂ© des rĂ©colteurs, il avait progressivement baissĂ© sa garde. Car en rĂ©alitĂ©, tous les soldats ennemis n’avaient pas quittĂ© la Jungle. Il fit cette dĂ©couverte aprĂšs avoir massacrĂ© plusieurs ouvriers affairĂ©s Ă  dĂ©couper l’écorce d’un grand dorao, ces arbres Ă©lancĂ©s Ă  tronc lisse, dont les cimes formaient le gros de la canopĂ©e luxuriante de la rĂ©gion. Alors qu’il s’apprĂȘtait Ă  partir, il repĂ©ra au loin un groupe de crĂ©atures s’apparentant Ă  celles de la premiĂšre vague de l’invasion, mais possĂ©dant un abdomen plus fuselĂ©, pareil Ă  la queue d’un scorpion, et une carapace non pas brune, mais colorĂ©e de vert et de blanc. Enfin
 ce furent plutĂŽt les crĂ©atures en question qui le repĂ©rĂšrent. Ignorant totalement les troupeaux d’herbivores qui se trouvaient sur leur route, les monstres se ruĂšrent en direction de PĂŒ, comme si elles le traquaient depuis un moment dĂ©jĂ . Si le premier rĂ©flexe du ZoraĂŻ fut de dĂ©gainer ses armes, la Voix le convainquit qu’il ne pourrait pas vaincre les six insectes gĂ©ants en mĂȘme temps. Ne pouvant pas rivaliser non plus avec leur vitesse de course, PĂŒ n’eut d’autre choix que de grimper au sommet du dorao et de fuir dans la canopĂ©e. Et bien que les deux plus petits spĂ©cimens soient parvenus Ă  le suivre, ils s’avĂ©rĂšrent bien moins agiles qu’un homin lorsqu’il s’agissait de sauter de branche en branche. Durant les semaines qui suivirent, PĂŒ eut l’occasion de croiser Ă  plusieurs reprises ces crĂ©atures, qu’il identifia comme les membres de patrouilles traquant exclusivement les homins qui auraient survĂ©cu Ă  l’essaim. Un comportement qui tĂ©moignait Ă  nouveau de l’intelligence collective de cette espĂšce insectoĂŻde venue des profondeurs d’Atys

 
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Brisant le flux de ses pensĂ©es, la voix intĂ©rieure rĂ©sonna dans sa tĂȘte.
 
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« Si tel est rĂ©ellement votre souhait, mon garçon, je peux tout Ă  fait garder le silence. Cependant, je suis d'avis que la solitude ne vous convient guĂšre. En rĂ©alitĂ©, aprĂšs tous les efforts que j’ai dĂ©ployĂ©s, j'ai peur de vous voir sombrer Ă  nouveau. »
 
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Les yeux toujours fixĂ©s sur les carcasses des monstres qu’il venait d’abattre, PĂŒ sentit sa gorge se serrer. À nouveau, elle avait raison. Aussi agaçante fut-elle, cette voix mystĂ©rieuse restait une prĂ©cieuse alliĂ©e. Sa seule alliĂ©e. Qu’elle appartienne rĂ©ellement Ă  quelqu’un, ou qu’elle soit le fruit de son imagination, elle Ă©tait le dernier lien qui l’unissait Ă  l’hominitĂ© disparue. Car seul au monde, il semblait l’ĂȘtre dĂ©sormais.
 
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À cette pensĂ©e, le rythme cardiaque du ZoraĂŻ accĂ©lĂ©ra et ses mains se mirent Ă  trembler. Non pas Ă  cause du froid, mais de la peur. PlutĂŽt mourir que d’ĂȘtre seul. Tout. Tout sauf la solitude.
 
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« Vous vous en rapprochez grandement, mon garçon. »
 
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PerchĂ© sur la cime d’un grand dorao, PĂŒ devinait au loin la citĂ© de Zoran, construite entre les rives du gigantesque Lac des Temples et le delta du Ti-aĂŻn, sa riviĂšre affluente. Suivant des yeux le cours d’eau, qui serpentait depuis le nord-ouest, le regard du ZoraĂŻ se porta sur la Grande Montagne. La colossale structure racinaire brisait la ligne d’horizon par sa dĂ©mesure et projetait son ombre protectrice sur la partie occidentale du pays, que l’on nommait Jungle EntĂ©nĂ©brĂ©e. Source du Ti-aĂŻn, elle Ă©tait aussi et surtout le seul dĂ©part connu de la CanopĂ©e, large de plusieurs centaines de kilomĂštres et s’étendant en hauteur jusqu’à se fondre dans le rĂ©seau de racines cĂ©lestes. Levant le masque vers le ciel pour suivre le parcours des ramifications aĂ©riennes, PĂŒ fĂ»t soudainement Ă©bloui par la lumiĂšre astrale de Jena que la dĂ©rive d'un nuage venait de libĂ©rer. Il secoua la tĂȘte et porta une derniĂšre fois son regard sur la CitĂ©-Temple. Il Ă©tait temps de partir.
 
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L’homin fuit le jour nu en se laissant chuter de quelques mĂštres et atterrit sur la branche oĂč il avait dĂ©posĂ© ses armes et son sac en toile. Dans ce dernier il conservait, entre autres, les reliques que Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€ lui avait confiĂ©es avant de mourir : le cube d’ambre renfermant les secrets du Culte Noir, le jeu de dĂ©s orangĂ©s qu’elle utilisait pour catalyser son pouvoir, communiquer avec les Kamis et prĂ©dire l'avenir de la tribu, sa dague cĂ©rĂ©monielle et le nĂ©cessaire Ă  tatouage. À ce jour, PĂŒ ne savait toujours pas ce qu’il devait faire de ces reliques, notamment des dĂ©s, qu’il avait essayĂ© de faire fonctionner ces derniĂšres semaines, en vain. Il cherchait dĂ©sespĂ©rĂ©ment des rĂ©ponses, et de jour en jour, le silence des Kamis se faisait de plus en plus cruel
 AprĂšs avoir ramassĂ© ses affaires, le ZoraĂŻ s’élança finalement vers le nord, sautant de branche en branche au travers de l’épais feuillage enneigĂ©.
 
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Deux heures et vingt kilomĂštres plus tard, PĂŒ Ă©tait juchĂ© sur la cime d’un nouveau grand dorao, donnant cette fois-ci directement sur la capitale du peuple ZoraĂŻ. La CitĂ©-Temple avait Ă©tĂ© construite presque trois siĂšcles auparavant Ă  l’intĂ©rieur d’un immense nƓud de l’Écorce, Ă  l’allure de cratĂšre, comme il en existait beaucoup dans cette rĂ©gion labyrinthique de la Jungle. Les flancs circulaires du nƓud s’élevaient abruptement jusqu’à une hauteur d’environ deux cents mĂštres et Ă©taient surplombĂ©s d’une large muraille. Jusqu’alors, aucune force homine n’avait rĂ©ussi Ă  pĂ©nĂ©trer la citĂ©. En 2328, alors que la Guerre de l’Aqueduc battait son plein, les troupes de l’Empire Fyros arrivĂšrent aux portes de Zoran en voulant contourner le front sud des Matis, et, l'Empereur Krythos Ă©tant persuadĂ© que la ThĂ©ocratie Ă©tait alliĂ©e au Royaume de Matia, elles tentĂšrent de forcer son enceinte. Incapable d’y parvenir, et harcelĂ©e par les Forces zoraĂŻs d’autodĂ©fense, l’ArmĂ©e ImpĂ©riale se rĂ©solut Ă  assiĂ©ger et Ă  pilonner la capitale Ă  l’aide de sa puissante artillerie, avant de repartir quelques jours plus tard vers le nord, lĂ  oĂč se trouvait son objectif principal. En observant de loin l’état dĂ©labrĂ© de l’enceinte, PĂŒ sut tout de suite que Zoran n’avait pas Ă©chappĂ© au cataclysme. Si la citĂ© avait de tout temps su repousser les envahisseurs homins, elle n’avait rien pu faire face aux ignobles insectes venus des profondeurs d’Atys
 Examinant plus en dĂ©tail les portes closes et la grosse brĂšche par laquelle il comptait s’infiltrer, PĂŒ remarqua que certains dĂ©gĂąts structurels semblaient avoir Ă©tĂ© causĂ©s par des dĂ©flagrations, comme si les Forces d’autodĂ©fense de la ThĂ©ocratie avait usĂ© de puissants explosifs contre les envahisseurs, sans Ă©gard pour les infrastructures de la citĂ©. Sauf si, bien sĂ»r, cela Ă©tait l'Ɠuvre d’un type de crĂ©atures que PĂŒ n’avait pas encore rencontrĂ©. Finalement, aprĂšs avoir scrutĂ© les alentours une derniĂšre fois, et vĂ©rifiĂ© qu’aucun monstre ne patrouillait dans le pĂ©rimĂštre, le ZoraĂŻ descendit de son perchoir et escalada le flanc du nƓud en direction de l’entrĂ©e de fortune qu’il avait repĂ©rĂ©e. Dans le cas oĂč la citĂ© serait encore habitĂ©e, emprunter l’un des douze escaliers permettant d’accĂ©der Ă  ses portes aurait bien trop attirĂ© l’attention.
 
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ArrivĂ© aux pieds de la muraille, PĂŒ trouva confirmation de la nature explosive de l’attaque ayant causĂ© l’écroulement de cette partie de l’enceinte. Le sol Ă©tait noirci et creusĂ© sur une dizaine de mĂštres, et l’épaisse portion de mur avait tout bonnement Ă©tĂ© rĂ©duite en poussiĂšre. En revanche, il doutait dĂ©sormais que des armes de la ThĂ©ocratie aient Ă©tĂ© Ă  l’origine des dĂ©gĂąts causĂ©s. Pour ce qu'il en savait, les Forces zoraĂŻs d’autodĂ©fense ne possĂ©daient pas une telle puissance de feu. Les relations entre la ThĂ©ocratie et la tribu de PĂŒ Ă©tant extrĂȘmement tendues, celle-ci suivait de prĂšs l'Ă©volution des armements de celle-lĂ . Au cas oĂč. Et jamais ses espions n’avaient rĂ©vĂ©lĂ© l’existence de telles armes. S’engouffrant dans la brĂšche, PĂŒ se remĂ©mora la seule fois oĂč il s’était rendu Ă  Zoran, accompagnant sa mĂšre Ă  un congrĂšs organisĂ© par le Conseil des Sages et rĂ©unissant toutes les tribus kamistes du pays. À l’époque, les ruelles de la citĂ© grouillaient de passants, parmi lesquels certains avaient copieusement insultĂ© les Ă©missaires de la « Souche Maudite » – dont ils mĂ©prisaient les masques tatouĂ©s - alors que la garde escortait ces derniers jusqu’au point de rendez-vous. Mais dorĂ©navant, s’il le voulait, PĂŒ pouvait aller oĂč bon lui semblait. Plus aucun garde ou passant ne pourrait l’en empĂȘcher. Car face Ă  lui, c’était une Zoran en ruines qui s'Ă©tendait. Une Zoran qui sentait la mort.
 
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Dominant la citĂ© circulaire, PĂŒ contempla quelques secondes les habitations dĂ©truites, construites sur les flancs intĂ©rieurs du nƓud, puis dirigea son regard vers le Zo’laĂŻ-gong, le temple kamiste le plus imposant du pays, trĂŽnant fiĂšrement au fond de la vallĂ©e et faisant la fiertĂ© de ses habitants. Le Zo’laĂŻ-gong Ă©tait une pyramide Ă  base carrĂ©e abritant un dĂ©dale composĂ© de salles de priĂšres, dans lesquelles les bonzes et les Sages recevaient leurs fidĂšles, formaient leurs disciples et tentaient d’invoquer des Kamis, mais accueillant aussi les principaux bureaux de l'administration centrale ainsi que les appartements privĂ©s du Grand Sage Min-Cho et de ses conseillers. Le sommet de la pyramide, plat, formait la Grand-Place, lĂ  oĂč les Sages se rĂ©unissaient pour discuter avec le peuple et oĂč Ă©taient organisĂ©es les rencontres importantes. C’était d’ailleurs ici mĂȘme que s’était tenu le congrĂšs tribal auquel la mĂšre de PĂŒ avait Ă©tĂ© invitĂ©e en tant que reprĂ©sentante de sa tribu, et auquel PĂ» avait participĂ©. En rĂ©sumĂ©, le Zo’laĂŻ-gong Ă©tait le premier lieu de culte du kamisme, mais aussi le siĂšge du pouvoir central et celui des principales institutions du pays.
 
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Pour honorer les Kamis et affirmer la grandeur de la civilisation zoraĂŻ, la ThĂ©ocratie avait entrepris deux siĂšcles auparavant la construction d'un gigantesque ouvrage architectural surplombant le Zo’laĂŻ-gong, achevĂ© cinquante annĂ©es plus tard : une pyramide inversĂ©e flottant Ă  une vingtaine de mĂštres au-dessus de la Grand-Place et sur laquelle Ă©tait posĂ©e une pyramide d'ambre de taille plus rĂ©duite. Ce monument, plus imposant encore que le temple qu’il couronnait, reposait sur des ambres aux propriĂ©tĂ©s Ă©lectrostatiques, permettant Ă  l’immense structure de lĂ©viter. En cela, il mettait en Ɠuvre le savoir que la Karavan avait transmis aux ZoraĂŻs par le passĂ©. Pour cela, il Ă©tait abhorrĂ© par la tribu de PĂŒ, qui avait de tout temps rĂȘvĂ© Ă  sa dĂ©molition. D’autant qu’il n’était pas simplement dĂ©coratif. En effet, le monument Ă©tait aussi traversĂ© d’un large puits de lumiĂšre qui prenait sa source dans la pyramide supĂ©rieure, conçue de sorte Ă  amplifier la lumiĂšre astrale, et s’enfonçait dans les profondeurs obscures du temple grĂące Ă  un jeu complexe de miroirs. De ce fait, selon la tribu de PĂŒ, cet Ă©difice honorait Ă©galement Jena, la DĂ©esse de l’Astre du Jour. La dĂ©esse usurpatrice venue du ciel, Ă©trangĂšre Ă  Atys, que la ThĂ©ocratie ZoraĂŻ vĂ©nĂ©rait Ă  tort comme Ă©tant le Kami SuprĂȘme.
 
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Ainsi, quel ne fut pas le sentiment de joie qui traversa PĂŒ lorsque, posant ses yeux sur le Zo’laĂŻ-gong, il dĂ©couvrit l’état dans lequel le temple se trouvait. La pyramide Ă©tait partiellement brisĂ©e, et le monument flottant, auparavant si majestueux, n’était plus. En lieu et place, un immense nuage de dĂ©bris, constituĂ© de blocs plus ou moins gros, dont certains avaient perdu leur propriĂ©tĂ© de lĂ©vitation et s’étaient Ă©crasĂ©s lourdement sur le temple. PĂŒ ne savait pas par quel miracle les crĂ©atures insectoĂŻdes avaient rĂ©ussi Ă  dĂ©molir l’édifice hĂ©rĂ©tique, et alors que son esprit endoctrinĂ© s’apprĂȘtait Ă  les remercier en pensĂ©es, il se rappela douloureusement du sort qu’elles avaient rĂ©servĂ© Ă  sa tribu. Si l’essaim de monstres avait envahit tout Atys, alors chaque homin s’en Ă©tait trouvĂ© affectĂ©, par sa propre mort ou celle d’un proche. Ami comme ennemi. Dans de telles circonstances, se rĂ©jouir du malheur de ses adversaires avait-il encore un sens ?
 
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Dominant toujours la citĂ©, PĂŒ observa de longues secondes le nuage de dĂ©bris, pensif, puis porta son regard sur la Grand-Place. Et alors qu’il fixait le sommet de la pyramide, quelque chose attira subitement son attention. Au vu de la distance qui le sĂ©parait du temple, il n’était pas en mesure de distinguer ce qui se trouvait en cet instant sur la Grand’Place. Il avait beau plisser les yeux sous son masque, rien n’y faisait. Pourtant, un Ă©trange sentiment avait jailli en lui, et gagnait dĂ©sormais en intensitĂ©. Ce qui avait attirĂ© son attention n’était pas d’ordre visuel, mais d’ordre psychique. D’ordre spirituel. Quelque chose l’attendait au sommet du Zo’laĂŻ-gong. Quelque chose l’appelait. Ou plutĂŽt quelqu’un. Oui, quelqu’un. Il en Ă©tait certain. Quelqu’un de cher Ă  son cƓur. Mais qui ? Tous ceux qui comptaient pour lui avaient disparu. La Voix essaya de lui dire quelque chose, mais, pris dans une sorte de transe hypnotique, PĂŒ l’entendit Ă  peine. Oubliant toute prudence, il dĂ©vala alors les ruelles de la citĂ©, Ă  toute vitesse, avalant les kilomĂštres sans mĂȘme regarder ce qui l’entourait. ArrivĂ© aux pieds du Zo’laĂŻ-gong, il s’élança aussitĂŽt Ă  l’assaut de l’escalier qui lui faisait face et gravit les marches deux Ă  deux. Comme Ă  plusieurs reprises durant sa course effrĂ©nĂ©e, la Voix essaya de l’interpeller, en vain.
 
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C’est finalement Ă  bout de souffle que PĂŒ arriva au sommet de la pyramide. ObnubilĂ© par son objectif, il avait mal gĂ©rĂ© son endurance et mal tirĂ© parti de la SĂšve qui l’irriguait. PenchĂ© en avant, les mains appuyĂ©es sur ses cuisses douloureuses, le ZoraĂŻ observait le centre du Taki-hay en haletant. Il observait le dos de celui qu’il Ă©tait venu chercher. Le premier homin vivant qu’il voyait depuis plusieurs semaines
 Au vu de la couleur acajou de ses cheveux, il s’agissait certainement d’un Fyros. Mais Ă©tait-ce celui que Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€ lui avait demandĂ© de trouver ? Le cƓur de PĂŒ s’emballa, et au mĂȘme moment, une main lui saisit la nuque et la lame d’une dague glissa contre sa gorge.
 
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« Si tu bouges, je sĂ©pare ta tĂȘte du reste de ton corps, c’est bien clair ? J’ai pas envie que ça arrive, alors joue au pas con. Le chef va ĂȘtre déçu si je te tue. »
 
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Au vu de la maniĂšre dont la dague Ă©tait tenue, PĂŒ sut tout de suite que son assaillant Ă©tait moins expĂ©rimentĂ© que lui. Il avait nĂ©anmoins eu le mĂ©rite de lui faire reprendre ses esprits. La voix intĂ©rieure rĂ©sonna aussitĂŽt dans son esprit.
 
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« Voilà donc ! Malgré mes conseils vous incitant à plus de discrétion, vous avez fait preuve, mon garçon, d'une grande négligence ! Les barricades, les soldats pendus, les charniers à peine refroidis : la cité est toujours peuplée ! Et pas uniquement par de simples survivants, si vous voulez mon avis. »
 
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AlertĂ© par le murmure menaçant de son acolyte, le Fyros se retourna. PlutĂŽt chĂ©tif, il portait une longue barbe tressĂ©e, et tenait en main une bouteille d’alcool.
 
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« Y’a quelqu’un ? HĂ©, t’es qui toi ? baragouina le Fyros, Ă  l'Ă©vidence saoul.
 
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— Viens m’aider, j’ai attrapĂ© un gros poisson ! » rĂ©pondit l’assaillant de PĂŒ.
 
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PĂŒ dĂ©visagea l’homin et se demanda Ă  nouveau s’il Ă©tait rĂ©ellement le Fyros qu’il devait trouver. Ivre, l’inconnu avança d’un pas maladroit et lĂącha accidentellement sa bouteille. PĂŒ suivit l’objet du regard, qui vint se briser sur le sol de la Grand-Place. Juste Ă  cĂŽtĂ© d’une petite forme noire et immobile, auparavant masquĂ©e par le corps du Fyros. Une forme noire, dans laquelle Ă©tait plantĂ©e une Ă©trange lance. Une forme d’un noir profond, sur laquelle deux petites sphĂšres blanches Ă©taient imprimĂ©es. Un Kami Noir, empalĂ©. Comprenant instantanĂ©ment que le Fyros n’avait rien Ă  voir avec l’appel psychique qu’il avait entendu, PĂŒ fĂ»t submergĂ© d’un sentiment de colĂšre. Ces homins avaient-ils osĂ© s’en prendre Ă  un Kami ? Ne faisant ni une ni deux, il saisit le bras qui menaçait de l’égorger et lui brisa le poignet pour le dĂ©sarmer. De sa main libre, il attrapa la dague dans sa chute et la lança en direction du Fyros, qui la reçut en pleine poitrine et chuta en arriĂšre. Finalement, il empoigna Ă  deux mains le bras meurtri de son assaillant et le fit basculer par-dessus son Ă©paule.
 
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Posant pour la premiĂšre fois son regard sur le visage de celui qui l’avait attaquĂ© par surprise, PĂŒ eut un mouvement de recul et lĂącha son bras. Ce visage, ou plutĂŽt ce masque, Ă©tait bardĂ© de profondes cicatrices. Pire encore Ă©taient ses cornes, toutes coupĂ©es Ă  ras de la peau. Si ce n’était pas la premiĂšre fois que PĂŒ rencontrait un ZoraĂŻ portant ce type de mutilations, jamais il n’aurait imaginĂ© en croiser un ici. Qu’est-ce qu’un AntĂ©kami faisait Ă  Zoran ? Comme la tribu de PĂŒ, les AntĂ©kamis formaient une tribu s'opposant violemment Ă  la ThĂ©ocratie ZoraĂŻ. Une tribu peuplĂ©e de ZoraĂŻs n’ayant jamais rĂ©ussi Ă  accepter le roman national et le mode de vie imposĂ© par la dynastie Cho au cours des siĂšcles passĂ©s. Pour autant, les deux tribus n’étaient pas alliĂ©es. Loin de lĂ  mĂȘme. Car Ă  l’inverse de la tribu de PĂŒ, les AntĂ©kamis ne rejetaient pas seulement Jena, mais aussi l’ensemble des Kamis. LĂ  oĂč la ThĂ©ocratie et la tribu de PĂŒ pouvaient au moins s’entendre sur l’amour qu’ils portaient aux Kamis, les AntĂ©kamis ne partageaient rien avec leur peuple, hormis cette peau bleue et ce masque dont ils n'Ă©taient jamais parvenus Ă  empĂȘcher la pousse. Ce masque qu’ils mutilaient Ă  mort, en guise de symbole. À bien y regarder, les AntĂ©kamis Ă©taient le miroir exact de la ThĂ©ocratie. La nĂ©gation mĂȘme du peuple ZoraĂŻ.
 
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Plein de haine, PĂŒ attrapa l’AntĂ©kami par la gorge et le souleva d’une seule main. Il devait tuer cet hĂ©rĂ©tique. Selon les enseignements qu’il avait reçus, il n’y avait rien de pire qu’un AntĂ©kami. Ils Ă©taient la lie de l’hominitĂ©, et mĂ©ritaient d’ĂȘtre exterminĂ©s jusqu’au dernier. Comme par rĂ©flexe, PĂŒ commença Ă  Ă©trangler le ZoraĂŻ qui tentait en vain de se libĂ©rer. Puis, il croisa son regard. Un regard empli de terreur. Inspectant plus largement l’individu, il comprit qu’il avait Ă  faire Ă  quelqu’un de plutĂŽt jeune. L’AntĂ©kami devait avoir dans les quinze ans.
 
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« Est-ce rĂ©ellement indispensable, mon garçon ? Sondez votre cƓur, vous ne le voulez pas. »
 
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Comme Ă  son habitude, la Voix avait visĂ© juste. Son pĂšre et son frĂšre n’étaient plus. Sa mĂšre et Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€ n’étaient plus. Sa tribu n’était plus. Mener la Guerre SacrĂ©e avait-il encore un sens ? Durant les semaines Ă©coulĂ©es, la question l’avait souvent hantĂ©. Sur son lit de mort, Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€ lui avait enjoint de mener la Guerre SacrĂ©e « Ă  sa maniĂšre ». Que cela signifiait-il ? PĂŒ se perdit quelques instants dans les yeux terrifiĂ©s de l’AntĂ©kami, comme pour y chercher une rĂ©ponse. Et s’il n’en trouva aucune, il sut en revanche ce qu’il ne souhaitait pas en cet instant : donner Ă  nouveau la mort Ă  un homin. Ses derniers meurtres, qui dataient de l’époque de son exil dans le Royaume de Matia, le hantaient encore. Alors, PĂŒ approcha son masque du sien.
 
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« Zoran est tombĂ©e, murmura-t-il. Min-Cho et son troupeau de Sages sont certainement enfouis sous les dĂ©combres du Zo’laĂŻ-gong. La ThĂ©ocratie n’est plus, ton combat est donc terminĂ©. Et si les Kamis t’ont permis d’échapper Ă  la mort, c’est uniquement pour que tu puisses passer le reste de ta vie Ă  faire acte de pĂ©nitence. Je respecterai leur choix, et pour cette raison, je ne te tuerai pas. »
 
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D’un geste puissant, PĂŒ projeta l’AntĂ©kami en arriĂšre, lequel s’écroula piteusement dans l’escalier qui menait au sommet de la pyramide.
 
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« Mon garçon, au lieu de prodiguer un prĂȘche, auquel vous ne souscrivez d'ailleurs pas, vous auriez dĂ» demander au jeune homin la raison de sa prĂ©sence en ces lieux.»
 
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Pour toute rĂ©ponse, PĂŒ se dirigea vers le Fyros d’un pas assurĂ©. Toujours au sol, celui-ci avait retirĂ© la dague de sa poitrine et semblait Ă©prouver des difficultĂ©s Ă  utiliser les pouvoirs de la SĂšve pour soigner sa blessure. ArrivĂ© Ă  son niveau, PĂŒ s’agenouilla auprĂšs du blessĂ© et plongea deux doigts dans sa plaie. Le Fyros hurla de douleur. De son autre main, PĂŒ effleura la fourrure du Kami. Elle Ă©tait Ă©trangement rigide. Le Kami Ă©tait comme paralysĂ©. StatufiĂ©. EntravĂ© par cette lance noire constituĂ©e d’une matiĂšre brillante et sillonnĂ©e de fines lignes verticales et horizontales. Pourtant, ses deux yeux blancs semblaient le fixer.
 
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« Qui es-tu ? demanda-t-il Ă  sa victime sans mĂȘme la regarder. Qu’est-ce que toi et tes camarades faites ici, et qu’est-il arrivĂ© Ă  ce Kami ? RĂ©ponds-moi !
 
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— PitiĂ©, me tue pas ! gĂ©mit le Fyros. Je m’appelle Lygridos, moi et les autres on s’est Ă©chappĂ© de la prison de Zoran aprĂšs le dĂ©part de la Karavan ! Ils ont pilonnĂ© la ville avec leurs vaisseaux, la moitiĂ© de la prison s’est Ă©croulĂ©e ! Putain j’ai mal, arrĂȘte !
 
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— La Karavan ? interrogea PĂŒ en quittant le Kami des yeux. Qu’est-ce que la Karavan faisait Ă  Zoran ? Est-ce la Karavan qui s’en est pris au Kami ?
 
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— La Karavan est venue aider les habitants de Zoran Ă  fuir ! Beaucoup ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s dans de grands transporteurs. Beaucoup d’autres ont Ă©tĂ© abandonnĂ©s sur place, comme nous ! AprĂšs l'Ă©vacuation, ils ont pilonnĂ© la ville pour tuer un maximum d’insectes, sans se soucier des victimes collatĂ©rales ! Je t’en prie, arrĂȘte ! »
 
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À ces mots, PĂŒ comprit pourquoi la citĂ© Ă©tait en ruine : les dĂ©gĂąts Ă©taient moins liĂ©s aux insectes gĂ©ants qu’à l’action de la Karavan. Il se demanda ensuite si les Kamis Ă©taient Ă  leur tour intervenus.
 
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« Parle-moi du Kami ! Que faisait-il Ă  Zoran ? Que lui est-il arrivĂ© ? hurla PĂŒ en enfonçant un peu plus ses doigts.
 
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— On sait pas pour le Kami ! On l’a trouvĂ© dans une rue, dans cet Ă©tat ! Y’avait des agents de la Karavan en petits morceaux Ă  cĂŽtĂ© de lui. On sait pas ce qu’il s’est passĂ©, mais c’est pas nous qui l’avons plantĂ©, j’te promets ! »
 
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PĂŒ approcha sa main libre de l’entrave, la frĂŽla du bout des doigts, et sentit son crĂąne vibrer. La lance semblait agir sur sa graine de vie. Il retira ses doigts de la plaie du Fyros, l’attrapa par le col et le releva sans mĂ©nagement.
 
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« Sais-tu si d’autres Kamis Ă©taient prĂ©sents au moment de l’invasion ? En avez-vous croisĂ© d’autres ?
 
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— Non, aucun autre ! Ni vivants ni morts ! On en a discutĂ© entre nous, et on dirait que seule la Karavan est intervenue pour aider les habitants. PitiĂ© ! On l'a simplement montĂ© ici pour rigoler !
 
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— Pour “rigoler“ ? Je vais le libĂ©rer, et nous verrons bien si tu as menti. Si c’est le cas, toi et tes camarades en payerez le prix.  »
 
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Pour toute rĂ©ponse, le Fyros gĂ©mit et chancela en direction de l’escalier oĂč l’AntĂ©kami avait chutĂ©. PĂŒ attendit de le voir disparaĂźtre avant de reposer son regard sur la lance. Deux sentiments de colĂšre l’habitaient. La colĂšre de voir la façon dont ces barbares avaient traitĂ© le Kami, et la colĂšre de savoir que les Kamis n’aient pas daignĂ© sauver ses proches.
 
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« Je vous recommande vivement de ne point toucher cet objet, mon garçon. Vous vous exposez au risque de connaßtre un sort similaire à celui de ce Kami. Ou pire encore. »
 
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La Voix avait certainement raison. Mais en fixant une nouvelle fois les yeux figĂ©s du Kami, et malgrĂ© la rancƓur qui l’habitait en cet instant, PĂŒ sut qu’il n’avait pas le choix. Il approcha ses deux mains de la lance, ferma les yeux, calma sa respiration et repensa aux prĂ©ceptes que son oncle lui avait enseignĂ©s de son vivant. Alors que son crĂąne se remettait Ă  vibrer, l’un deux lui revint Ă  l’esprit.
 
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« Ma-Duk nous offre l'ultime douleur pour que nulle peine au monde ne puisse atteindre jamais ses soldats. »
 
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S’il n’avait jamais Ă©tĂ© proche de son pĂšre, il l’était en revanche de son oncle. Ke’val Ă©tait son maĂźtre d’armes. Il Ă©tait celui qui lui avait tout appris, sur le plan martial, et qui avait fait de lui un guerrier accompli. Il Ă©tait celui Ă  qui il aurait dĂ» succĂ©der. Celui qui lui avait donnĂ© les clĂ©s qui lui permettaient d’endurer la douleur prĂ©sente. Car Ă  l’instant mĂȘme oĂč PĂŒ saisit la lance, il crut sa tĂȘte exploser. Puis des vagues de douleur se propagĂšrent depuis son crĂąne et inondĂšrent tout son ĂȘtre. Comme durant la pousse de son masque. Cependant, en rĂ©action, son corps rĂ©agit autrement, et tous ses muscles se figĂšrent instantanĂ©ment. Il essaya de se dĂ©gager, mais cela ne fit que dĂ©multiplier la douleur. Il nageait Ă  contre-courant. Pourtant, il n’avait pas le choix. Alors, comme durant la pousse de son masque, il se concentra sur sa graine de vie et accepta la sensation. Elle lui Ă©tait familiĂšre. Il arrĂȘta de nager et plongea dans cet ocĂ©an de douleur. Et, petit Ă  petit, les mains serrĂ©es autour de l’objet maudit, il exerça un mouvement de tirage. MillimĂštre par millimĂštre.
 
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Au moment oĂč le dernier centimĂštre de la lance se dĂ©gagea du corps du Kami, l’effet s’arrĂȘta soudainement et PĂŒ put libĂ©rer ses mains. Finalement, il lui avait fallu moins d’une minute pour retirer l’entrave, bien qu’il eut l’impression que le supplice avait durĂ© des heures. ExtĂ©nuĂ©, il tomba Ă  genoux. Quant au Kami, il se rĂ©pandit en une flaque de poils noire, dans laquelle flottĂšrent les deux sphĂšres blanches. La crĂ©ature divine avait perdu toute consistance. Soucieux, PĂŒ tenta d’interagir avec elle, mais le tumulte qui surgit depuis les flancs de la pyramide le convainquit de se concentrer avant tout sur son propre Ă©tat. Quelque chose arrivait. Le ZoraĂŻ se mit debout, chancela lĂ©gĂšrement, puis essaya d’infuser de la SĂšve dans son corps. Malheureusement, il peina Ă  manipuler comme il le souhaitait le flux qui l’irriguait. La douleur avait laissĂ© place Ă  une sensation d’engourdissement gĂ©nĂ©ral : son corps rĂ©pondait mal, ses sens semblaient altĂ©rĂ©s et ses pensĂ©es Ă©taient confuses. Comme si sa graine de vie n’était pas totalement remise du malĂ©fice de l’entrave. Et si son Ă©tat s’amĂ©liorait doucement, il savait qu’il ne serait jamais remis Ă  temps. Car le vacarme montant, qui mĂȘlait voix et bruits de bottes, Ă©tait dĂ©sormais Ă  portĂ©e.
 
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PĂŒ jeta un coup d’Ɠil au Kami, toujours flasque, puis dĂ©gaina son Ă©pĂ©e de sa main gauche et accrocha sa rondache Ă  son bras droit. En Ă©pargnant les deux individus, il leur avait permis d’aller chercher du renfort. Il devait en assumer les consĂ©quences et protĂ©ger la crĂ©ature divine coĂ»te que coĂ»te. Essayant d’optimiser le temps qui lui restait, PĂŒ ferma les yeux et se concentra autant qu’il pu sur sa rĂ©gĂ©nĂ©ration. Plusieurs homins Ă©taient dĂ©jĂ  arrivĂ©s au sommet, d’autres se rapprochaient de lui. Il les entendait. Quand il rouvrit finalement les yeux, une petite cinquantaine d’individus l’entouraient. Si plus de la moitiĂ© Ă©taient des ZoraĂŻs, tous n’étaient pas des AntĂ©kamis. Quant au reste du groupe, il Ă©tait composĂ© majoritairement de Matis et de Trykers. Les Fyros Ă©taient minoritaires, tout comme les homines. De vifs coups d’Ɠil, PĂŒ analysa ses adversaires. Certains portaient des tenues de prisonniers, et tous Ă©taient armĂ©s. Pour autant, une minoritĂ© seulement avait l’allure de combattants. Un AntĂ©kami, notamment, se distinguait. Non pas du fait de la large croix boursouflĂ©e qui dĂ©chirait son masque, mais par l’accoutrement qu’il portait : tenue constituĂ©e en partie de piĂšces d’armure de la Karavan. Trapu et plutĂŽt petit pour un ZoraĂŻ, sa main crispĂ©e au bout d'un bras musculeux serrait le manche d’une grosse massue Ă  la tĂȘte hĂ©rissĂ©e d’épines. PĂŒ dĂ©visagea quelques secondes l’individu. C’était la premiĂšre fois qu’il voyait un homin Ă©quipĂ© comme le sont habituellement les Agents de la Karavan. En guise de rĂ©ponse, celui-ci inclina son masque et s’avança vers le centre du cercle. ArrivĂ© Ă  trois mĂštres de PĂŒ, il posa le manche de son arme sur son Ă©paule et prit la parole. Son ton Ă©tait narquois.
 
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« Au dĂ©but, je ne les ai pas crus. Mais finalement, ce n’est pas surprenant. Qui d’autre que  toi aurait pu survivre Ă  cette catastrophe ? Je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi tenace que toi, Sang. »
 
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En entendant le nom de son pĂšre, PĂŒ fut d’abord Ă©tonnĂ©. Comment pouvait-il le connaĂźtre, et surtout, comment pouvait-il le prendre pour lui ? Puis il se rappela du masque qu’il portait dĂ©sormais. Pour honorer le souvenir de sa tribu et respecter les derniĂšres volontĂ©s de Grand-MĂšre BĂ€-BĂ€, il avait acceptĂ© le titre de Masque Noir, et s’était tatouĂ© en consĂ©quence. L’esprit toujours engourdi par l’entrave, PĂŒ rĂ©pondit sans se poser plus de questions.
 
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« Je ne suis pas Sang, je suis son fils. Qui es-tu ?
 
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— Son fils ? Ainsi, Sang a passĂ© le flambeau Ă  son aĂźnĂ© ? Je ne pensais pas voir ça de mon vivant. J’espĂšre au moins qu’il est mort pitoyablement. »
 
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À ces mots, la mĂąchoire de PĂŒ se serra. Non parce que l’AntĂ©kami avait insultĂ© son pĂšre, mais parce qu’il l’avait confondu avec son frĂšre. Son frĂšre, qui avait toujours Ă©tĂ© destinĂ© Ă  devenir un jour le Masque Noir. Son frĂšre, qu’il aurait pu sauver ce jour-là
 PĂŒ pointa son interlocuteur avec son Ă©pĂ©e et reposa sa question.
 
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« Qui es-tu ? »
 
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L’AntĂ©kami rigola, leva les bras puis tourna sur lui-mĂȘme. Sa massue semblait ne rien peser.
 
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« Je suis qui, les gars ? »
 
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Alors, en chƓur, le cercle d’homins leva ses armes et hurla.
 
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« Zunak ! Zunak ! Zunak ! »
 
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Les cris continuĂšrent jusqu’à ce que l’AntĂ©kami abaisse ses mains et s'avance d’un pas vers PĂŒ.
 
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« VoilĂ  qui je suis. Ton pĂšre t’a parlĂ© de moi ? »
 
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La rĂ©ponse Ă©tait non. PĂŒ n’avait jamais entendu parler de cet individu. Sa tribu Ă©tant en guerre ouverte contre les AntĂ©kamis, il n’était pas, aprĂšs tout, Ă©tonnant que son pĂšre connaisse certains de ses ennemis. Mais Ă  cet instant, son identitĂ© lui importait peu. L’état du Kami ne semblait pas s’amĂ©liorer, et lui-mĂȘme n’avait pas totalement rĂ©cupĂ©rĂ©. Il devait rĂ©flĂ©chir Ă  une issue, et gagner du temps.
 
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« Non, mon pĂšre ne m’a jamais parlĂ© de toi. Mais je serai curieux d’en savoir plus.
 
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— Ah ? Je suis déçu. J’étais l’un des meneurs des AntĂ©kamis avant de finir au trou. Ton pĂšre et moi entretenions une relation
 passionnĂ©e. On s’est promis Ă  chacun plein d’horribles choses. Maintenant, je suis le chef de cette petite bande. Et aussi le nouveau dirigeant de Zoran.
 
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— Est-ce Ă  cause de mon pĂšre que tu as terminĂ© en prison ?
 
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— Oh non, pas du tout. Il aurait clairement prĂ©fĂ©rĂ© me tuer, dit-il en avançant d’un nouveau pas. »
 
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PĂŒ analysa la posture du dĂ©nommĂ© Zunak, qui semblait prĂȘt Ă  attaquer. Dans le dos de l’AntĂ©kami, il surprit deux prisonniers se faisant signe de la tĂȘte. C’étaient le ZoraĂŻ et le Fyros qu’il avait Ă©pargnĂ©s un peu plus tĂŽt.
 
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« C’est mon armure que tu regardes comme ça ? renchĂ©rit l’AntĂ©kami. Je l’ai rĂ©cupĂ©rĂ©e sur le corps d’un Agent de la Karavan gravement blessĂ© par un kitin.
 
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— Un kitin ?
 
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— Ouais, c’est comme ça la Karavan nomme les insectes gĂ©ants. Donc, l’Agent Ă©tait vraiment en mauvais Ă©tat, il avait besoin d’aide. Bien sĂ»r, je ne l’ai pas aidĂ©. J’ai simplement rĂ©cupĂ©rĂ© son Ă©quipement. T’as dĂ©jĂ  vu un Agent sans armure ? Le plus choquant, ça a Ă©tĂ© quand j’ai enlevĂ© son casque
 »
 
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L’AntĂ©kami s’appuya sur sa massue et fixa PĂŒ sans rien dire. En vĂ©ritĂ©, PĂŒ Ă©tait intriguĂ©. Comme beaucoup, il s’était longtemps questionnĂ© sur l’apparence rĂ©elle des Agents de la Karavan. Comme les quatre peuples homins, ils possĂ©daient deux bras, deux jambes et une tĂȘte. Ils maĂźtrisaient aussi chacune des langues atysiennes et exhibaient gĂ©nĂ©ralement des maniĂšres d’ĂȘtre et de faire homines. En cela, ils Ă©tait pour beaucoup bien plus facile de s’identifier aux Agents de la Karavan qu’aux Kamis, avec qui il Ă©tait souvent compliquĂ© de communiquer. Mais les Kamis avaient pour eux de s’exposer tels qu’ils Ă©taient au monde, tandis que les Agents de la Karavan restaient murĂ©s derriĂšre leurs impermĂ©ables et froides armures. Zunak s’avança et continua. Il Ă©tait dĂ©sormais Ă  un mĂštre de PĂŒ.
 
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« À mon avis, on doit pas ĂȘtre beaucoup sur Atys Ă  avoir vu le visage d’un Agent. Y’a deux choses qui m'ont Ă©tonnĂ©. La premiĂšre, c’est l’impression de familiaritĂ©. En le regardant, j’ai eu l’impression d’avoir toujours su Ă  quoi il ressemblait, alors qu’il n’était ni matis, ni fyros, ni tryker, et encore moins zoraĂŻ. C’était comme s’il appartenait Ă  un autre peuple d’homins. C’était vraiment trĂšs Ă©trange. La seconde, c’est la maniĂšre dont il a rĂ©agi
 »
 
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L’AntĂ©kami fit une pause et serra plus fermement le manche de son arme. PĂŒ, bien que suspendu Ă  ses lĂšvres, prĂ©parait sa contre-attaque.
 
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« À son regard, j’ai compris qu’il Ă©tait terrifiĂ©. Et j’ai vite compris pourquoi. En fait, il n'a pas fait long feu. Il s’est mis Ă  suffoquer, comme s’il n’était pas capable de respirer. Ou plutĂŽt comme si l’air qu’il respirait Ă©tait du poison. Car rapidement, il s’est mis Ă  tousser du sang. Puis le blanc de ses yeux est devenu rouge et la peau de son visage s’est mise Ă  pourrir. À noircir. Je dirai que ça Ă  durĂ© mĂȘme pas une minute. Juste avant de crever, des poils avaient poussĂ© au travers de sa peau nĂ©crosĂ©e, et j’ai mĂȘme eu l’impression que son crĂąne Ă©tait en train de se dĂ©former. Puis
 »
 
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Et sans prĂ©venir, Zunak envoya la tĂȘte de sa massue en direction du masque de PĂŒ. PrĂ©parĂ©, ce dernier flĂ©chit les genoux et esquiva sans peine l’attaque. Il prit ensuite appui sur sa rondache pour libĂ©rer sa jambe gauche et balayer les jambes de l’AntĂ©kami. Alors que celui-ci s’écroulait lourdement sur le sol, PĂŒ s’était dĂ©jĂ  relevĂ©, prĂȘt Ă  accueillir ses nombreux adversaires, d’ores et dĂ©jĂ  en train de se ruer sur lui en hurlant. MĂȘme s’il le redoutait, pour protĂ©ger le Kami, il Ă©tait prĂȘt Ă  tuer.
 
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« Mon garçon, en dĂ©pit de vos compĂ©tences, il vous est impossible, en votre seule personne, de triompher d'une cinquantaine d'individus armĂ©s. Vous devez vous rĂ©soudre Ă  prendre la fuite. Vous n'avez guĂšre d’alternative ! »
 
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Fuir ? Et abandonner le Kami ? C’était inconcevable. Pourtant, la Voix avait raison. D’autant qu’il n’était pas encore totalement remis du malĂ©fice de l’entrave. Car si PĂŒ rĂ©ussit Ă  mettre hors d'Ă©tat de nuire les premiers ennemis arrivĂ©s Ă  son contact, il fut vite submergĂ© par une nuĂ©e de lames et de pointes. Dans la confusion, il entendit Zunak hurler Ă  ses sbires de ne pas le tuer, qu’il voulait s’en charger lui-mĂȘme. Cela explique sans doute pourquoi sa poitrine et sa tĂȘte furent relativement Ă©pargnĂ©es, ce qui ne fut pas le cas de ses membres, lacĂ©rĂ©s de toute part. Lorsque deux lances lui embrochĂšrent finalement les cuisses, PĂŒ fut contraint de cĂ©der et tomba Ă  genoux. L’un des prisonniers, plus tĂ©mĂ©raire que les autres, en profita pour lui planter sa hache dans le ventre. Un Ă©clair de douleur traversa le corps du ZoraĂŻ, dont la vision se troubla. Il avait atteint les limites de son endurance Ă  manipuler la SĂšve. Il n’était plus en mesure de se soigner. Il aurait dĂ» fuir. Revenir plus tard. Pour le Kami. PĂŒ lĂącha son Ă©pĂ©e, et dans un dernier sursaut, lui jeta un regard. C’est alors que la crĂ©ature divine entra en convulsions.
 
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Dans une vision dĂ©rangeante, un tentacule noir surgit d’elle et transperça d’un coup prĂ©cis le cƓur du porteur de la hache. Puis la masse gonfla et d’autres tentacules suivirent. La confusion s’accentua et les hurlements guerriers se muĂšrent en cris de panique. Toujours clouĂ© au sol, PĂŒ se dĂ©barrassa des lances qui l’entravaient et chercha du bout de ses doigts son Ă©pĂ©e. Un Fyros s’effondra alors devant lui. Lygridos, le soĂ»lard qu’il avait Ă©pargnĂ©. Dans sa tĂȘte, la Voix lui hurlait quelque chose. Mais PĂŒ ne l’entendait pas. Il Ă©tait totalement sonnĂ© par la boucherie chaotique qu’était devenue de combat. D’autant que le Fyros hurlait lui aussi. De peur et de douleur. Il hurlait la perte de ses jambes, totalement prisonniĂšres du Kami. Ou plutĂŽt de l’ignoble fente bardĂ©e de dents qui avait pris forme sur son corps gonflĂ©.
 
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« Mon garçon, vous devez toucher le Kami ! Il vous le demande ! Ne l’entendez-vous pas ? »
 
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Le toucher ? L’entendre ? Bien que n’étant pas certain de comprendre ce que la Voix voulait lui dire, PĂŒ lui obĂ©it. Il attrapa son Ă©pĂ©e, s’appuya sur elle pour se relever et enjamba le Fyros, dont les hurlements de douleur s’étaient muĂ©s en cris d’agonie. Si la plupart des homins avaient fui la Grand-Place, certains Ă©taient encore prĂ©sents, dont le jeune AntĂ©kami qu’il avait sermonnĂ©. Il Ă©tait aux prises avec un tentacule essayant de l’étrangler. DĂ©pourvu de peur, PĂŒ tendit lentement sa main vers la monstrueuse crĂ©ature, sans cesser jamais de fixer l’AntĂ©kami. Lui Ă©tait transi de peur. Finalement, il aurait dĂ» le tuer. Sa mort aurait Ă©tĂ© plus douce. Aussi douce que la fourrure noire du Kami, dont il venait de saisir les poils. Aussi douce et chaude que la vague de SĂšve qui venait de le traverser. Sur le moment, PĂŒ crut que le Kami Ă©tait en train de guĂ©rir ses blessures. Puis des lignes ambrĂ©es Ă©tincelantes se superposĂšrent au masque de l’AntĂ©kami. Puis Ă  son corps. Puis Ă  tout ce sur quoi PĂŒ porta son regard. Le Kami, particuliĂšrement, avait troquĂ© sa fourrure noire contre un Ă©blouissant habit de lumiĂšre. Confus, le ZoraĂŻ le fixa quelques secondes, puis leva la tĂȘte. Dans le ciel d’Atys, les racines de la CanopĂ©e s’étaient transformĂ©es en artĂšres flamboyantes et battantes. PĂŒ les suivit du regard jusqu’à trouver la Grande Montagne, elle aussi gorgĂ©e de lumiĂšre, et dont la base venait se perdre dans la mer Ă©tincelante qu’était devenue la jungle. C’est en baissant le masque qu’il comprit que l’altĂ©ration touchait avant tout la matiĂšre vivante. La CitĂ© de Zoran, et notamment ses bĂątiments, rayonnait bien moins que les arbres qui bordaient sa large muraille. Le phĂ©nomĂšne s’accentua alors que les Ă©lĂ©ments les moins brillants de son champ visuel s’effaçaient, profitant aux branches les plus incandescentes du rĂ©seau lumineux qu’il distinguait dĂ©sormais parfaitement. La vision hallucinĂ©e s’amplifia lorsque PĂŒ regarda ses pieds. Se rendant compte qu’il Ă©tait dorĂ©navant capable de voir au travers de la matiĂšre, il fut pris d’un terrible vertige et manqua de chuter. Debout sur le vide, il observait de nouvelles artĂšres flamboyantes et battantes, semblables Ă  celles de CanopĂ©e, situĂ©es cette fois-ci dans les profondeurs d’Atys. Toutes semblaient irriguer la Jungle de leur chaleur. Et toutes semblaient prendre source au mĂȘme endroit. Un lieu situĂ© au centre de tout, Ă  plusieurs milliers de kilomĂštres de lĂ . Un globe palpitant, composĂ© de lumiĂšre, plus Ă©blouissant encore que l’astre maudit de Jena. Le cƓur Ă©tincelant du monde. Ma-Duk. ÉmerveillĂ©, PĂŒ fixa l’étoile abyssale. Elle lui brĂ»lait les rĂ©tines. Puis, un chant liturgique s’éleva. Il Ă©tait temps pour lui de partir. Temps pour lui de le rejoindre. Alors, PĂŒ bascula en avant et s’enfonça dans le Zo’laĂŻ-gong, comme si son corps avait perdu toute consistance. C’est en tout cas l’impression qu’il eut avant de perdre conscience.
 
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Revision as of 19:22, 26 August 2024

en:Chapter II·I - The Black Kami‱ fr:Chapitre II·I - Le Kami Noir‱
 
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Notes: (Nilstilar, 2024-08-26)


II·I - The black Kami

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Jena Year 2481


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